Mentions légales à gogo – Je voulais te parler de mon yaourt

Nous sommes entourés de mentions légales. Entre celles qui apparaissent dès que l’on mentionne un alcool, les phrases dites très très vite sur les crédits par la dame à la radio à la fin de la pub pour la voiture, les quelques mentions « manger bouger » ultra hypocrites du genre « Oulàlà, McDo c’est bon. Pour votre santé évitez de manger trop gras, trop sucré, trop salé » et les fantastiques « photo non contractuelle » des catalogues, on ne sait plus où donner de la tête. Si l’on continue comme ça, bientôt, ils vont nous en mettre jusque dans les films.

J’imagine bien la scène de cinéma, avec un superbe plan sur un flic dépressif accoudé au comptoir qui ressasse les images de sa femme sauvagement assassinée par un tueur fou et malade mental. Le barman, qui le connaît bien – le flic dépressif connaît toujours bien le barman dans les films comme ça – s’approche de lui et le salue. Le flic lui jette un regard lourd de sens. Genre « je suis à bout, là, Gégé, sers-moi mon verre et laisse-moi tranquille » . Il n’a même pas besoin de parler, puisqu’ils se connaissent bien. Gégé sort de sa réserve spéciale son meilleur whisky, sert une double ration au flic, pose le verre devant lui, d’une main ferme mais qui se veut rassurante lui tapote l’épaule.

– Tu sais que je suis là, Eddy.
– Merci, Gégé.
– N’oublie pas que l’abus d’alcool est dangereux pour la santé. A consommer avec modération.

Sur ce, Eddy engloutit le whisky, glisse un billet sur le comptoir et redemande la même chose. Puis il sort une clope, la met à la bouche. Gégé lui tend du feu.

– Avec la loi Evin, tu dois sortir fumer sur le trottoir.
– Merci, Gégé.
– Et n’oublie pas que fumer rend impuissant.

Alors Eddy se lève et sort du bar, sa clope au bec et son deuxième whisky en main. La serveuse s’accoude au comptoir et le regarde sortir, l’air triste.
– Il va pas bien, Eddy.
– Nan. Il vient d’apprendre que sa femme avait pris un crédit à la consommation à son nom ; TAEG annuel fixe de 20,04% avec un remboursement en 10 mensualités de 120,04€ pour un coût total du crédit de 200,40€, et dans son dos !
– Le pauvre. Et tu le laisses aller dehors avec cette pluie ? Il pourrait tomber malade et devoir prendre des antibiotiques ! Qui, soit dit en passant, ne sont pas automatiques.
– Tu sais, moi, j’applique la loi. Je le laisserais bien fumer ici mais fumer provoque le cancer.
Tout en parlant, Gégé s’est mis à couper des fruits. Quand Eddy revient à l’intérieur, Gégé lui tend un bol.
– Tiens, mon vieux. Faut manger 5 fruits et légumes par jour.
– T’as pas une aspirine plutôt ? J’ai la tête en vrac !
Gégé fouille dans son placard et tend l’aspirine.
– Attention, ceci est un médicament, respecte bien la posologie. Pour un enfant, tu dois utiliser une autre forme, ce dosage n’est pas adapté en dessous de 50 kg !
– Merci, Gégé.
Eddy avale l’aspirine, un troisième whisky puis les fruits. Il reste un moment au comptoir, jusqu’à ce que Gégé le foute gentiment à la porte, non sans lui avoir conseillé de souffler dans le ballon avant de prendre le volant puis, voyant les couleurs s’affoler, de lui appeler un taxi. Puis Eddy rentre seul chez lui et se couche.

Tu noteras, ami lecteur, que notre brave Eddy se contente de remercier son pote Gégé sans l’envoyer bouler avec toutes ses mentions légales. C’est parce que sinon ça alourdirait quand même vachement les dialogues – alors que là pas du tout – et ça donnerait une mauvaise image. Alors il dit merci pour le whisky sans noter la mention pour l’alcool, etc. Le fait est que ça casse un peu tout le scénario. Si Inès – la serveuse – n’avait pas entendu juste avant que fumer rend impuissant, elle serait peut-être allée essayer de consoler l’ami Eddy. Ami qui, s’il n’avait pas été fourré dans un taxi ne serait peut-être pas rentré directement chez lui. Il aurait pu lui arriver des tas d’aventures rocambolesques. A la place, il pionce. C’est sage, mais pas très palpitant. Les mentions légales, c’est la mort du scénario original.

Et le pire, ami lecteur, c’est qu’en commençant cet article sur les mentions légales, je voulais te parler de mon yaourt… Mais je trouve ça peu digeste, après le délire pseudo-cinématographique. Ca sera pour une prochaine fois, tiens.

Mais je voulais te parler de mon yaourt.

L’autre jour, en mangeant mon yaourt « la dame de Vermeer » goût pomme façon tarte tatin, j’ai eu la bonne idée d’observer l’emballage dudit dessert. J’étais pourtant avec quelques collègues. La télé nous crachait un tas d’imbécillités soi-disant divertissantes. J’avais même un bouquin sous la main. Mais parfois…Personne ne parlait, je tournais le dos à la télé et je ne lis pas à table, c’est trop dangereux pour la survie du bouquin. Alors, j’observais mon pot de yaourt.

A côté de la fantastique illustration qui nous montre que c’est quand même une bonne femme peinte il y a des lustres qui a fabriqué elle même ce yaourt avec ses petits bras musclés – ça n’est donc pas du tout industriel, enfin, voyons – il y avait une photo d’une part de tarte tatin. Quoi de plus logique, me diras-tu ? Ca permet de repérer en un clin d’oeil à quoi est le yaourt, plutôt que de devoir se fatiguer à lire, et puis quoi encore, hein, on a faim. Non, moi ce qui m’a choquée, c’est le truc écrit en tout petit à côté : « suggestion de présentation ».

Si je comprends bien, on me suggère donc de présenter mon yaourt sous forme de tarte tatin. D’un coup, moi qui trouvait l’illustration tout à fait logique et restituant parfaitement le contenu du produit laitier – ca a un goût de pomme caramélisées et il y a des morceaux sablés genre youpi c’est une tarte – je me suis retrouvée un peu con. Parce que j’avais beau retourner le problème dans tout les sens, je ne voyais pas comment je pourrais parvenir à présenter ce yaourt comme sur la photo.

En même temps, la présentation, c’est une truc qui sert surtout quand on a des invités à la maison, et il est rare que l’idée me vienne de leur servir du yaourt. J’ai quand même un certain goût de l’effort et du travail bien fait qui me font préparer un minimum le repas avant de recevoir. J’avoue donc que je n’ai jamais essayé de servir mon yaourt à la tarte tatin en forme de tarte tatin. Mais franchement, ça me paraît difficile.

Dois-je en conclure que cette sublime mention apparaît parce qu’il y a vraiment des gens qui croient trouver une part de tarte dans un pot de yaourt ? A la limite, le « photo non contractuelle » m’aurait semblé plus justifié, à défaut de mettre la vraie mention qui devrait être du genre « attention, on a dessiné une part de tarte mais c’est simplement pour illustrer à la bande de cons que vous êtes qu’on a tenté de restituer chimiquement le goût d’une tarte tatin qu’on a mis dans ton produit tout a fait classique de fermentation laitière et puis ben, on a rajouté des bouts de trucs vaguement sablés pour faire genre c’est une tarte mais il n’y a pas vraiment une tarte dedans, c’est un yaourt ». Un peu plus long, mais beaucoup plus clair.

Et que l’on ne vienne pas me dire qu’il n’y a pas la place sur le pot ! Ca empièterait peut-être un peu sur la dame avec son pot de lait, mais elle non plus elle n’est pas dans le yaourt. Et c’est pas elle qui l’a fait. Pourquoi on ne met pas une mention sur la dame, d’ailleurs ? « Attention, cette dame n’existe pas et c’est pas elle qui a fait ton yaourt, pauvre tâche ! ». Tout de suite, ça serait plus clair pour le consommateur…

février 2013